Rebelle *

Publié le par fragments d'âme

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J'ai entendu certains dire que Rebelle suivait la tendance laissée par Raiponce des studios Disney.

Effectivement, on peut trouver des similitudes entre ces deux films d'animation, dont les circonstances de naissance sont proches. D'abord, tous les deux sont produits ou coproduits par Disney, et c'est plus particulièrement pourRebelle un point important à souligner. Ils sont marqués par un certain nombre de personnages secondaires qu'on revoit en filigrane durant le film, et qui sont destinés à faire vendre des peluches (je vous en parlerais plus tard). Surtout, ils mettent tous les deux en scène un personnage féminin fier et insoumis... Du moins en apparence.

A mon avis, ceux qui disent cela ne savent pas de quoi ils parlent, et je trouve qu'on ne peut décemment arguer du manque de personnalité du cru de Pixar, en s'arrêtant à cet argument éculé.

Dans son style comme dans son scénario, le cru de Pixar a en effet une vraie personnalité. Il présente à son spectateur une vraie nouveauté, comparé au film de Disney.

Il y a, c'est vrai, une grosse déception dans Rebelle. C'est le retour des chansons diégétiques. Le personnage chante sous nos yeux. En terme de rythme, c'est une énorme déception. Alors que traditionnellement, les réalisateurs du studio choisissaient de crever l'abcès par des moments de contemplation, des morceaux d'intériorité, qui offraient une vraie complicité avec le spectateur, de par l'absence de dialogue et la libre interprétation par celui ci des émotions des personnages, Rebelle renoue avec un héritage Disney, avec de longs morceaux chantés.

C'est d'autant plus paradoxal que, si ces séquences se justifiaient dans Raiponce, où elles communiquaient à mon sens la joie de vivre intense du personnage découvrant son environnement (et étaient en plus d'une certaine qualité), elles sont en revanche totalement malvenues ici, dans la mesure où on connait déjà le contexte, que les émotions du personnages ne sont en rien un secret pour nous lors qu’interviennent ces passages chantés, et qu'en outre notre esprit absorbé par la chanson n'est plus disponible pour observer le personnage. Pour la première fois dans l'histoire de ce studio, une pensée unilatérale, un diktat simpliste, guide le spectateur par la main. 

 

Et puis, tout va trop vite. Le studio s'est perdu dans cette façon du cinéma américain de speeder tous les films, ne laissant aucun répit au spectateur. Surtout, dans cette façon d'amener les différents éléments de chaque scène, il n'y a aucun montage parallèle, aucune surprise, étant donné que, de façon assez miraculeuse, tous les personnages semblent se trouver chacun à quelques mètres de distance des autres. Etrangement, cette façon de faire typique des grosses productions donne un coté cheap aux films. On a l'impression que les monteurs ne savent plus alterner les différents éléments, ni apporter des ruptures de rythme, ni varier la longueur de chaque plan, que les metteurs en scènes et cadreurs ne savent plus filmer le lointain. Tous les plans sont rapprochés, et les visages perdent toute forme d'expression. C'est d'autant plus terrible lorsqu'on compare ce film au travail sur Toy Story 3.

 

Et pour se convertir à ce travail baclé, les scénaristes sont eux même allé plonger dans la médiocrité. On ne retrouve en rien la profondeur scénaristique des autres films du studio.

Où est passée la façon si unique qu'avaient les scénaristes du studio de poser des univers, parfois caricaturaux et simplistes, mais avec toujours la même tendresse envers leurs personnages, la même profondeur dans la direction artistique, la même ironie réfléchie lorsqu'il s'agissait d'insuffler une toile de fond à cet univers.

Elle semble manifestement avoir disparu ici, au vu de l'absence totale de goût dans les costumes, le grand bazar « celtiquo-viking » de la direction artistique, les personnages stupides et archétypaux, pleinement dévoués au scénario. C'est d'autant plus dommage que le rapport à la terre, aux traditions, et à la magie amenaient plutôt bien une société celtique vraiment pleine de vie.

A ce titre, l'inexistence totale de réplique masculine dans le film est symptomatique. Il n'y a aucun personnage masculin travaillé, qui viendrait donner un point de vue différent sur la société et le monde. Tous les hommes du film sont réduits au rang d'archètypes lâches et ripailleurs, ne pensant qu'à manger, boire et se battre, tout ça en se repaissant de leur grandeur factice, notamment leur combat contre les ours, qu'ils ne mènent qu'en chanson.

Cette carricature est parfois mordante et juste, et je citerais deux scènes intéressantes. La première, le concours de tir à l'arc, modèle de ce que le film aurait pu être, un film qui sait rire de ses personnages en restant mesuré, qui apporte une complicité réelle entre le père et sa fille, et qui présente l'idéal féministe du film avec une grande justesse, lorsque la jeune héroine craque son corset et plante toutes ses flèches dans la cible. L'autre, et son intérêt est beaucoup plus stylistique, est une grande scène de bagarre générale, dont l'intérêt réside en fait dans l'habile utilisation par les réalisateurs des musiciens présents dans l'intrigue. La musique des cornemuses apporterait presque un coté épique décalé, par rapport à la stupidité de la situation, des hommes se battant. Là, on retrouve le génie Pixar, malgré le caractère conventionnel de la scène.

Malheureusement, en dépit de ce simplisme apparent, le film peine à expliciter son point de vue. Face à tous ces hommes en armure se battant comme des chiffoniers, le film semble livrer un message contre le machisme d'une société représentée comme ridicule. Sauf que, l'intervention rapide de la reine, qui tire les trois princes par les oreilles, montre la réalité derrière le masque. Ici, ce sont les femmes qui mènent la danse, et finalement, ce petit manège masculin apparait comme bon enfant et fraternel. Evidemment, l'idée est que les hommes sont réellements prêt à s'entretuer, sauf qu'on en a jamais vraiment l'impression. On n'a pas l'impression qu'ils fassent autre chose que s'amuser en groupe. En fait, on a peine à croire que ce film soit autre chose qu'un bal costumé tant la société dans laquelle évoluent les personnages n'est finalement que très peu mise en valeur.

 Pourtant, il y avait des idées intéressantes à traiter. La mère transformée en leur pire ennemi, un ours, se retrouve repérée et pourchassée, ce qui aurait pu donner lieu à des scènes haletantes. Mais on peine à se retenir de sourire, on ne croit pas à la menace. Un bon potentiel est gâché. 

On découvre ainsi assez logiquement que cette façon de camper la partie masculine d'une société n'est en fait qu'un argument scénaristique. Une façon de déchoir l'autorité royale qui semble en cours dans cette société, afin de mieux ramener les enjeux à hauteur de la jeune héroïne. Il n'y a aucune vie dans cette société qui sert de toile de fond à l'aventure, tout est artificiel et archétypal, et le film n'a même pas l'excuse du second degré, tant il se prend au sérieux, dans toute sa partie féminine. 

Et si ce parti pris de s'intéresser uniquement à deux personnages, dans le cadre de la relation entre la mère et sa fille est intéressant, la mère rendue muette révèle finalement la vraie nature de la façon dont les scénaristes voient le film. Il s'agit en fait d'une relation d'influence unilatérale. Une fille profitant de la situation, va imposer à sa mère réduite au silence son diktat, en refusant absolument toute remise en question, même si le scénario essaye de nous faire croire le contraire.

Et le paroxysme est atteint lors de cette séquence où, devant une horde de mâles prêt à en découdre, la princesse, frèle apparition mène tambour battant un long discours, devant sa mère, sur la justification de son diktat de vie. Elle impose à tous l'amour comme unique credo de relation entre les hommes et les femmes, et invoque la camaraderie masculine et le sens du défi propre aux hommes pour mieux les contrôler selon ses fins, les contrôlant jusqu'à leurs armes les plus « secrètes » (le goût de l'alcool).

Cette thématique féministe est bien sure intéressante, mais, en plus de marquer une rupture maladroite entre la société présentée au début, et celle qui adviendra à la fin, ce sans réfléchir une once sur le monde dans lequel nous vivons, et surtout sans considération pour l'univers du film, censé se dérouler au moyen âge, elle amène de par l'inexistence des personnages masculins à un inverse gênant, dans lequel une héroïne manifestement gouine (on peut voir la même situation à l'inverse dans Monstres et Cie) naviguera finalement sans entrave au milieu d'une société d'hommes objets, réduits au rang de guerrier de suif, qui joueront les paons devant elle. Dit comme ça, et assumé, c'est tout de suite moins gênant, et plus intéressant.

 

Pour toutes les raisons cités ici. Je peux affirmer que oui, Rebelle est un film qui a sa propre identité, pour le meilleur et pour le pire.

 



 

Le plus désolant (je vous avais promis d'en parler) est finalement la façon dont ce film phagocyté par Disney, boursouflé par l'influence de la firme aux grandes oreilles ne sert en fait qu'à vendre des poupées aux petites filles. Une pub au son surmixé passé avant le film vante les poupées Rebelle, et ses trois jumeaux... Quelle horreur !

Publié dans Cinéma 2012

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